Publié le 17 mai 2023
Mis en place par la fondation Robert de Sorbon, le programme Baudelaire vise à promouvoir la culture française et l’égalité des chances. Il met à disposition de vingt jeunes par an une formation interdisciplinaire et expérimentale. Des étudiants bénéficiaires du programme ont pris la plume pour en dire plus…
La culture et l’amour
Imaginez un arbre au loin, en haut d’une colline. Il est beau, il est celui qui vous attire. Vous ne voulez que lui – au départ. Il vous semble personnel et personnalisé. Que ce soit un hêtre, un chêne ou un merisier : c’est le vôtre.
Aussi, dans un certain sens, pourrions-nous appeler cet arbre « musique de Debussy », « rap urbain », « impressionnisme », ou « sculpture de Rodin ». Cet arbre représente notre marotte, ce qui nous fait vibrer. Il est notre appétence naturelle et profonde. Et des arbres comme cela, il en existe de disponibles pour chacun.
La passion fait qu’on s’en approche. On remarque alors leur complexité : branches, ramifications. Puis viennent les racines qui dérivent vers une immensité, elle-même formée d’autres arbres encore bien cachés. Cette vaste forêt est le monde de la culture. Tout y est lié de ramures, d’évolutions, d’interconnexions élémentaires ou élaborées. Le début de cette exploration est une action tout sauf anodine : il s’agit du début d’un cheminement, inconscient ou pas, vers un nouveau monde.
Dès lors, happés par notre curiosité, on ne peut plus faire demi-tour. Nous voulons naturellement connaître la suite. C’est de cette manière que la culture nous a piqués, nous, les étudiants du programme Baudelaire. Cette année, nous avons pu constater les liens racinaires, rhizomiques, entre ignominie de la Shoah et Histoire, Dessin, Écriture, Musique, Poésie, Théâtre ou Littérature.
Ainsi, ce programme éminemment culturel semble aboutir au constat d’un lien indissociable entre amour et culture. L’amour étant la dynamique qui guide la culture. L’amour est un sentiment universel reliant les hommes, quels qu’ils soient, d’où qu’ils viennent.
La culture est, quant à elle, un appel du pied aux curieux qui cherchent des réponses, en même temps qu’un rassemblement collectif à l’aune de ce que l’on aime communément.
La culture étant créée par des personnes qui veulent partager une émanation de leur esprit, elle est entretenue par ceux qui aiment cette émanation. Ces derniers la font vivre en la réinterprétant et/ou en la réinventant. Elle vient également d’autres individus qui la partagent car ils en aiment aussi certains aspects. Ces passionnés dévoués tentent de nous montrer ce qui leur semble être digne d’être partagé, et ils nous signifient que ce qu’ils partagent peut nous rassembler.
Sur fond d’amour de l’autre et d’amour de la création, ils en sont les messagers.
Cet amour de l’autre est donc particulièrement remarquable dans le programme Baudelaire. On a voulu y rassembler des étudiants passionnés avant tout, sans considération sociale (alors que la culture a tendance malheureusement à favoriser les ségrégations entre ceux qui veulent la détenir, la freiner, l’arrêter, ou encore la garder pour eux). La culture doit être le lot de tous. Le Programme Baudelaire, par amour des autres, nous pousse ainsi à trouver et/ou explorer nos marottes, puis à les exploiter. Il incarne, à mon sens, l’esprit universaliste de la culture, empli de l’amour de l’autre et de celui de la création, en l’offrant à chacun.
Lucien Mornat
Retranscrire, incarner sans s’approprier
« Je retourne ma peau, je traque l’inconnu. Je découvre un monde. » (Jean Cocteau)
Dans le cours de littérature du programme Baudelaire, un projet touchant et ambitieux nous a été confié : retranscrire l’histoire de Monique Valcke Strauss, qui a grandi dans le monde chaotique de la Seconde Guerre mondiale. Elle a déposé sur des pages vierges ses souvenirs, essayant d’être la plus précise et honnête possible. Son regard sur le passé étant aujourd’hui empreint d’une interprétation adulte et réfléchie concernant chaque fait, elle nous livre un dialogue sincère entre l’enfant qu’elle fut et la femme qu’elle est devenue.
Notre travail d’écriture convoque la précision et la retouche. Il s’agit de recoudre les mailles du récit qui se délient parfois, de combler les creux de la mémoire et de développer certaines relations qui le méritent, car le texte de Monique est une formidable mine de détails et de souvenirs qu’elle n’a pas toujours osé développer en raison de sa modestie. Souvent, lors de nos échanges, nous l’avons poussée dans ses retranchements, afin qu’elle nous précise les choses.
Ainsi, nous devions creuser l’histoire et éclairer le texte à l’aide de détails qui renforceraient certains souvenirs confus.
Mais ma grande appétence pour l’écriture m’a emportée : par inadvertance, je me suis approprié le texte. Sans m’en rendre compte, mon travail de réécriture devenait trop personnel, trop intime. On pouvait deviner ma patte dans certaines tournures de phrases, certainement trop romanesques, alors que Monique souhaitait un texte très épuré. Ce travail nous a donc demandé une grande rigueur et une forme d’honnêteté intellectuelle. Pour que l’oeuvre vive, chacun a dû respecter le ton, le goût, la couleur de l’écriture propres à Monique Valcke Strauss. En voulant reformuler certaines phrases, je me suis heurtée aux écueils de cet exercice particulier, et j’en ai découvert la principale règle : devoir fondamentalement s’oublier, en apprenant à incarner jusqu’au bout l’être que l’on anime. J’aime me sentir contrainte par cette règle, car j’ai le sentiment de m’aventurer sur un sol insoupçonné, digne et fertile. Il s’agit aussi d’un devoir, semblable à celui du comédien envers son personnage. Il se doit de le trouver en lui. Alors, toujours aussi curieuse, je compte bien persévérer, en travaillant plus subtilement encore le texte de Monique Valcke Strauss, cette matière si précieuse.
Félicité Guerbet
Importance de la pratique
D’ordinaire, à l’université, la théorie prime sur la pratique. Or, au programme Baudelaire, on découvre une pratique qui prend davantage de place que la théorie. À travers cette pratique artistique, on éprouve une certaine liberté, le droit de s’exprimer, d’écrire et de dessiner. Loin du cadre scolaire classique, ce sont des artistes avant d’être des professeurs qui nous accompagnent. On est entourés par des écrivains, un plasticien, un passionné d’Histoire, un dramaturge. Nous, les étudiants, nous sommes les acteurs de chaque projet et non de simples observateurs. Nos œuvres, nos mots sont une part de nous-mêmes, déposée dans ce programme encore jeune.
Une singularité ressort de chacun de nous car nous ne sommes pas des élèves, mais des personnes avec une capacité de créativité et d’imagination. La pratique entraîne une liberté qu’on ne retrouve pas dans le cadre d’une scolarité académique. Pour la plupart, c’est une découverte permanente : un amour pour l’écriture, un goût pour l’art abstrait et des anecdotes inconnues découvertes dans les manuels d’Histoire. Enfin, les pratiques sont diverses et permettent une totale implication de notre part car tous nos sens se retrouvent stimulés.
Natacha Da Silva-Baudry et Kadiatou Konaté
Un jeu
Le programme Baudelaire est une chance. Nous y suivons des cours pluridisciplinaires enseignés par des artistes.
Le cours qui me touche tout particulièrement est la classe de poésie dirigée par Florient Azoulay. Avec lui, nous travaillons sur la poésie de Walt Whitman en vue d’un spectacle à la Maison de la Poésie. Nous y constatons la puissance qu’un mot peut receler. Avec lui, nous pouvons passer une heure à parler d’un mot unique, parfois de deux… Pour évoquer toute la puissance d’un mot et celle de son message, nous prenons des heures. Le temps est suspendu.
Les poèmes, les rimes, les mots m’ont toujours fasciné. Lorsque j’étais enfant, je devinais que se cachait un réel pouvoir derrière les mots. Je devinais que le langage était magique. Et je n’avais qu’un désir : tout savoir. Mais pour cela, il me fallait lire, afin de déchiffrer les messages cachés.
Cependant, je croyais que la littérature n’était pas pour moi, qu’elle me restait inatteignable du fait de ma dyslexie. Mais Madame Ladjali, ma professeure de français, m’a ouvert une porte. En cours, j’ai découvert la puissance de la littérature et peu à peu les mots me faisaient moins peur. J’apprenais à les dompter.
Après le Bac, que paradoxalement j’ai eu grâce à mes résultats de français, ma professeure m’a proposé d’intégrer le programme Baudelaire, où j’ai pu vérifier et mettre en pratique toutes mes intuitions. C’est alors que le jeu a vraiment pu commencer.
Jean Palomo Del Rio