Publié le 21 février 2022
Il fallait un sacré culot pour adapter au cinéma le texte dont Marcel Proust disait qu’il était le plus grand roman de Balzac. Si les illusions demeurent définitivement perdues, le pari de Xavier Giannolli, lui, est des plus réussis. Miroir d’un temps où abondaient les fausses rumeurs propagées par les « canards », Illusions perdues apparaît aussi, par analogie, celui de notre époque où abondent les fake news.
Deux chemins vers la réussite sociale
Poursuivant l’entreprise d’Honoré de Balzac, Xavier Giannoli met en scène la transformation d’un caractère trop innocent pour être absolument honnête. Si Lucien Chardon, apprenti-imprimeur d’Angoulême, apparaît effectivement au départ comme un poète idéaliste, sa montée « à la capitale » ne tarde pas à balayer ses scrupules. Les élèves, dès le visionnage de la bande-annonce, seront d’ailleurs sensibles aux transformations physionomiques du personnage, entre la situation initiale où il dédie son recueil de poèmes à sa noble protectrice,
Madame de Bargeton, et le cœur de l’action où Lucien de Rubempré pense avoir définitivement conquis le Tout-Paris de la Restauration.
Dans le roman, le héros de Balzac est immédiatement confronté à un dilemme : choisir entre « le Cénacle » et le Journalisme, ou si l’on préfère, entre l’anonymat et le renom. Le film amplifie ce ressort dramatique en soulignant les tiraillements du héros, amant « romantique » d’une jeune et belle comédienne (Coralie) et – en même temps – billettiste sans foi ni loi.
La tentation de l’argent et du vice
Pour faire son trou dans le petit monde des lettres, il faut moins du génie que des relations. Au contact d’Étienne Lousteau, rédacteur en chef d’un des nombreux « canards » chargés de faire la pluie et le beau temps sur les sorties théâtrales et les livres fraîchement édités, Lucien va devoir faire le deuil de ses belles illusions. La représentation cinématographique d’une presse d’autant plus florissante qu’elle est sans déontologie permettra aux élèves de 2de de faire le lien entre deux parties du programme, le roman et la presse. Aux heures fastes du « boulevard du Crime », où se croisent prostituées, écrivains et journalistes, pour qu’un livre soit acheté en nombre, pour qu’une pièce fasse salle comble, tout dépend de la capacité des « canards » à provoquer la « claque », autrement dit, à faire le « buzz ». Guidés par l’appât du gain, ces derniers se rangent prioritairement du côté du directeur de théâtre ou de l’éditeur le plus offrant. Dans le roman qui sert de trame scénaristique à l’adaptation cinématographique, Balzac s’était plu à décrire cette société faussement lettrée qui a fait du paraître son maître-mot. Or l’auteur lui-même, pour Illusions perdues notamment, a été « descendu » par quelques plumes acérées dont celle de Jules Janin qui dans Le Corsaire (journal où écrit Lucien) persifflait : « Ce livre, dans lequel on n’entre que comme dans un égout […] ».
Une chute brutale et cruelle
Tout rapprochement de ce théâtre des vanités avec les mœurs de la cour versaillaise dans Ridicule (1996) de Patrice Leconte ne serait dès lors nullement fortuite, pas moins que l’affairisme journalistique épinglé dans Bel-Ami (1885) de Maupassant. D’abord, « plume » dans un journal « libéral », Lucien se fait acheter par un journal « royaliste ».
Opportuniste par esprit de revanche, Lucien fait le pari risqué d’être des deux bords à la fois, se mettre du côté du Roi pouvant lui permettre de récupérer la particule de sa mère : « De Rubempré ».
Un film pour disserter et s’enrichir culturellement
En regard avec le roman dont il s’inspire, le film peut permettre d’engager la problématique de dissertation suivante centrée la personnalité du héros : « Dans quelle mesure Lucien, tel qu’il apparaît dans le roman et dans le film, peut-il être caractérisé comme un personnage paradoxal, tiraillé entre sonmoi profond et son moi social ? » Outre ses qualités cinématographiques propres, le film de Xavier Giannoli met en scène tous les genres littéraires : poésie, roman, théâtre (Coralie jouant par exemple la Bérénice de Racine) et textes d’idées, à travers le thème omniprésent de la presse. De plus, du point de vue de la réception des élèves, le jeune âge du personnage principal et de sa compagne ne peuvent que renforcer une forme de lecture mimétique. La confrontation du roman donnera ainsi lieu à une séquence qu’on pourra intituler « Des Marguerites aux canards déchaînés ».
Les trois premiers titres retenus ici sont repris du chapitre 10, « Parcours initiatiques », proposé dans le manuel Nathan 2de, Horizons pluriels, qui étudie cinq extraits de la deuxième partie d’Illusions perdues, p.241-246.